lundi 26 septembre 2016

Le Bal des ardents, Fabien Clouette

Que faisiez-vous au temps chaud ? Avec Le Bal des ardents, second roman de Fabien Clouette sorti chez L'Ogre et en librairie en avance le premier de ce mois, l'auteur et la maison, fidèles à ce désir « de se servir de la langue pour épuiser le réel » nous offrent un livre emblématique, remarquable à tous points de vue. Un roman-danse qui court les rus, ivre de mots, riche de ses images, expert et mental, sensitif et phénoménal, inédit et indéfinissable. Du genre à naviguer à vue, entre littérature blanche, de voyage, poétique, politique, aventure et tout ce que l'on voudra bien y voir. Une littérature populaire et exigeante qui se destine à tous et à jamais, se dessine dès la couverture et nous invite à lire entre les livres de cet auteur hors du commun. Le Bal est ouvert. La nouvelle saison de ce blog et de cette rentrée littéraire s'avance. Dansez maintenant.


« Donne-moi tes fous. Donne un fou, pas forcément les deux, mais donne-le-moi. En échange, je te donne mon roi. »

Bal des ardents. Ballade de Yasen, de Danvé, de Losange, de Thomas, d'Orque-Anne, Tabulo et Sota Levant. Poisson volé, grue, drôles d'oiseaux ces deux-là, inséparables, presque siamois, insensibles aux on-dit, dirait-on. Le quotidien dans les Rouges, les arnaques à la petite semaine, la débrouille, les pots-de-vin, fantaisies bon enfant et stratégie des grands. Escrocs et joueurs. De cartes, de dés, dominos, de dames avec les rois, de pachisi, de petits chevaux d'Ashta Chamma. Mais ce n'est pas ça l'important. Est-on le joueur ou l'instrument ? Cela ne se pose pas vraiment. Contrebande et marées, entre Tampa et Siam, l'on abat les cartes, l'on tape le carton. Prend ce que l'on veut et vend ce que l'on peut. Pas de bas fonds mais un panier de crabe certainement.

Au demeurant, le roi serait mort. Ailleurs, les troupes, en mouvement. Au large le Sans-Voix, bâtiment qui attend, recrute des Guides, offre la perspective d'un salut, celui des eaux internationales. Pour l'heure on ignore où l'on en est réellement. Ce ne sont pas les noms qui manquent, loin de là. Simplement on ne sait pas à quoi ils correspondent exactement. Paysage composite, coloré, rêvé, grevé, de Thaïlande, de Floride, de Rockall, de Malacca. Comme pour Quelques rides, premier roman de l'auteur, l'intrigue est posée. Comme dans une tragédie, l'on explique, l'on répète, ce qui va se jouer. Histoire des présents, d'Hanuman et du fils d'Hanuman. Des absents, de Racin. Des passants, de Mélodie, de Gueule Cassée. Des trépassés, de Macha, de Mosoël. J'en passe et des meilleurs, qui partent en premier, comme des coups de feu. Silencieux, à l'image des orages sans bruits qui embrasent étrangement le ciel depuis quelques temps.


« Il faut apprendre à jouer : les fous vont en diagonale, ils ne font pas les choses comme les autres pions. Et les rois, les rois se déplacent peu mais partout où ils veulent. Si on change tout, si on confond, alors on n’y comprendra plus rien ».

Apprendre ce qui se joue. Le fait fait événement, riche d'enseignement. L'histoire dans l'histoire, en minuscule ou majesté, réelle ou officielle, subie ou assumée. Révolution, retour du même en pire, de la dialectique, du combat entre maîtres et serviteurs. Schéma, mâché et remâché, rabâché, des troupes royales et des prisonniers. Comment et où s'y retrouver, de quel côté, ou bien partir, fuir. La même ritournelle, les mêmes faux faits, faux choix, faux fuyants fauchés payant leurs forfaits. Défendre ou consoler, tu parles d'un non-choix, une vie de chien oui, rédigée par un roi. Tirer la bonne carte ou ses quatre épingles du jeu, se tirer tout simplement, le plus tôt sera le mieux, s'en piquer sans se faire p(r) endre. Pour les autres ou les jambes à son cou. La retraite ou la reddition. « Les mots comme tatoués, l'absence de rendu. »

Tout inventer. A commencer par le commencement. Roi et fils de. Partie d'échecs. Tous imaginent, surtout Danvé, Yasen et le petit prince le premier. Masques de bois et de plastique qui protègent ou aveuglent. «  On peut inventer. Il y a matière. » Jamais les terrains vagues n'ont si bien porté leur nom. L'imagination au pouvoir. Révolution. Révolte poétique et poétique de la révolte, poignante et sanglante. Levant se lève, observe, pense au cata, à Orque-Anne, ne se sent pas concernés, Tabulo va se mêler. Danvé rêve — bulle — et se souvient, plonge et s'enfonce peu à peu, se fraie de magnifiques passages dans la mangrove, gagné par l'ivresse des profondeurs. Dans son délire, entre la menace du tigre et celle des représailles, ses chances de s'en sortir sont très minces. Il le sait, mais veut croire. Au désert. A l'impossibilité du nihil. A l'amitié.


« Le boomerang finit dans la main de Yasen, et tout est relancé au-dessus des cimes. »

Yasen aussi veut croire, c'est à dire sauver. Ce qui reste présent du passé sans s'y perdre cependant. Les bras en croix, écartelé. Ouvrir les yeux. Les siens et ceux des autres. Sur le bouillonnement, le bariolé, le port et le marché, menacés par les troupes et l'avenir. Sur les Tranches de forêt et de purée bleue. Alors il parle, d'une voix que personne ne lui reconnaît. Face à l'indifférence et à l'hostilité. Rarement. Lentement. Longuement. S'entend. Conteur, colporteur, ménestrel, il prophétise, porte la nouvelle. La mort du roi, le prince dément. Risque l'anathème, fou qu'il est, docker joker qui jamais ne se laisse abattre. Château de cartes, Maison d'Yeux. Beauté tragique du soulèvement. Souvenir de Cordelia la guerre, de Marie Cosnay — « Ce que j'ai de noir c'est les contours de mes tatouages, les yeux du hibou et les étages de la tour. »

Le roi est mort / A mort le roi.
Transvaluation de toutes les valeurs. Retour du mème. Embaumé, momie-mausolée. L'on se moque. Ecrans de fumée. Maquillages, jeux et ateliers. Tous artisans. Artificiers. Elections truquées. Les rois sont nus. Sont fous. Panem et circenses — « les affaires en cours, c'est un match de football ». La propagande, la censure, les mensonges éhontés, éventés, les omissions des émissions télévisées, les montages. Voilà bien longtemps déjà que l'on « ne crie qu'à demi-mot ». La voix du roi — occis, mort — séparée de son corps, comme le corps de la princesse, corps mercenaires offerts au culte de la personnalité. L'histoire saisissante des Surfaces du soleil, d'un apprenti sourcier lassé de ses exploits. Rumeur des troupes, orages sans bruit, désespoir sourd, infamies. Caboteurs et sabotages. Dernier de cordée, vite torché. Poix, plumes, danseurs qui s'enflamment dans la mêlée.


« Le vent changeait, à cause des bâtiments. Le gosse regrettait presque les hale-bas des quatorze. Avec tous ces empannages, on était groggy. On voyait les serpes couper sans faire le tri dans les couloirs de l'orangerie. »

Rien n'est vrai, tout est permis, « les corps de pierre et les corps liquides », les combes, l'humour, l'amour, la poésie. On pense Abeille pour le décor, la métaphore, l'archétype — le G/guide. On pense Lynch dans la manière et la matière. Evidemment « cela n'a rien à voir » comme dirait Lou. Et l'on voit cependant, saisit ce que l'on peut, pense, joue avec la réalité et l'idée de. Et l'on rit aussi, de ces jeux, de mots, de miroirs, où l'on aperçoit Quelques rides. De cette ardoise qui nous faisait crisser des dents et que l'on retrouve avec joie. Alors on slash, on choisit, on opère. Avec ses propres référents/imagiers/imaginaire. Sa propre mémoire/perception/imagination. Lectures croisées qui ne valent que pour ceux qui les ont, les font. Univers dont les structures entrent en collision ou en harmonie, somme toute en relation.

Il faudrait une flopée d'instruments pour mesurer à quel point. Les dimensions, les parallèles, tout ça. Pas juste ouvrir la bouche, agiter la langue, mouiller son doigt pour voir d'où vient le vent, les empreintes digitales sur le palais comme des rides sur la carte. Des trajectoires de navires sur le papier calque. Lever l'index. S'autoriser à lire librement, à être inspiré quand le livre se tait, se sait, se fait, se veut inspirant. Ne pas manquer d'air, manger de pain, laisser ouvert, ouvrir même davantage. En attendant, prendre des notes. Composer avec ça. Jouer du style comme d'un instrument, en changer selon la partition. La musique vient en son temps. S'entend à tout le moins. Suivre le boomerang lancé par Yasen, qui donne la direction, qui suivra Dansé, qui. Revient, ou presque. Le saisir au vol. Le relancer, ou non. Son parcours elliptique, sa progression.


« On est au beau milieu. Au beau milieu de la courbe (…) On est au-delà du beau milieu. »

Figures, fils, Rouge : croiser un mot, le retrouver de loin en loin. Repère, corps mort à la dérive, balise, trace du boomerang, mascaret. Tester la résistance, la densité de la structure. Tenter l'expérience. « On prend le même décor et on enlève tous les points de mouillage. » Et Quelques rides dans le même temps. Comme alors, se laisser porter, accepter de ne comprendre certains mots que plus tard, dans le contexte, le dictionnaire, les possibilités offertes par l'homonymie, la polysémie, l'analogie. Prendre les choses comme elles viennent. « Des eaux rouges ou blanches. » Les araignées, les tanks, les fous : va savoir ce qu'ils sont vraiment. Menace poétique, organismes marins. Cnidaires, salpes. Onirisme graphique, souvenirs de « méduses infimes qui s'allument quand on les dérange. »  Comment rester immobile quand on est en feu.


« C'était vide, et peut-être que ça n'allait pas plus loin (…) et ça posait de nombreuses questions, jamais vraiment formulées. »

Lancer et laisser revenir. Garder son assiette, remettre le couvert. N'être jamais repu de cette écriture si particulière, obsédante par ses manières. Esquiver face à l'esquif, éviter le naufrage, le dessalage. Appareillage. Il n'est pas si/pas tant que ça/étourdi/au large. Cet été, pour la première fois, j'ai nagé au large, le masque sur le visage. Cette expérience et celle de Quelques rides m'ont permis d'aborder ce nouveau rivage que constitue Le Bal des ardents. De saisir qu'il faut lâcher prise pour entrer en matière réellement, authentiquement, non comme en religion, mais en transe ou en relation. Faire un et pas sang blanc. Pas de panique, de haut fond sur lequel reprendre pied, donner une impulsion. S'oublier, omettre d'inspirer, craindre d'expirer. Juste le sentiment d'aller un peu loin dans la subjectivité, à l'instar de Danvé, victime de son imagination.


« Si on fait vraiment attention aujourd'hui (…) C'est peut-être ça l'orage sans bruit. »

Flux et reflux, cénesthésie, chambre d'écho aux événements, déjà vu/su/tu. Football, émeutes, troupes, d'un roi condamné, mort vivant. (Ré) Incarnation, vertus de l'Ashta Chamma, « parole du roi défunt comme du roi vivant », Shah de Schrödinger en quelque sorte. (Méta) Physique kantienne-Quoi faire ? (Métem) Psychose, champion éternel. Archétype encore, les « quatre cavaliers de l'apocalypse ». De but en blanc, du port de Brest à celui de Marseille, retrouver. Fabien dont le livre nous accompagne, Marie en résidence à la Marelle. Qui embarque bientôt, qui nous parle d'Homère, le plus célèbre des aèdes, dit L'Aveuglé comme le capitaine du Sans-Voix. Au retour rapprocher Ulysses du Bal — Unité de temps, multiplicité des espaces traversés. Epopée Odyssée Mythologie. Hydres et gorgones. Le désir de créer du mythe, du mème, le simple fait de baigner dedans, de lever le pied, d'avoir les coudées franches. La nécessité de la jouer collectif, de se tenir au courant.


« Il aimerait bien ne plus faire que de la découpe, trouver son style de découpe. C'est important. Par ici il faut savoir découper avec style, c'est-à-dire avec efficacité. »

Si Quelques rides nous avait bercés, versé peut-être, Le Bal nous entraîne, nous invite à nous accrocher, à faire le trapèze, à sentir le frais vif des embruns, la drache, dans une atmosphère, un livre, un style, comme pas un. Avec Le Bal des ardents, au gré des noms égrenés, l'on sait où et avec qui, mais jamais quand. Une histoire de flou servie par une écriture précise. De celles que l'on n'oublie pas, qui demeure, s'impose par une langue nouvelle, elliptique dans son mouvement, eidétique et mémorielle. Qui offre une expérience de lecture inédite. Conjugue, convoque, évoque, invoque. La forme et le fond. Un espace à géographie/métrie variable. Un temps dont les lignes s'enn(tre) mêlent pour mieux se fondre et se confondre. Un rituel avec, sous cap, sous les ris, la magie qui le porte et qui apparaît parfois quand le vent les emporte. Et puis, à l'horizon, c'est à dire à l'avenir, le désert et les Calmes.


« Et puis c'est quand même très stable, et on revient ou on a l'impression de revenir, de se rattraper toujours en chutant...

Rester ou partir, chanter ou se taire. Voilà ce qui se joue ici-bas. De retour sur la terre ferme, les deux pieds sur le quai, on rêve à d'autres horizons. Et puis on regarde autour de soi et on songe que l'on y est, pour de bon. Pendant que l'on cédait à la Glose, le temps, l'espace, se sont modifiés au rythme de nos pas, jeu de marelle digne des Princes d'Ambre, qui se prête à l'imagination sans se donner totalement. Hypothèses, hypnagogie, apnée et fantaisie - « il n'y a pas de meilleurs lecteurs que les rêveurs (...) eux seuls savent faire fleurir comme il convient les virtualités de l'écrit. » (Jacques Abeille, Le Veilleur du jour.) Démêler le bon grain de l'ivraie – ou non, et à quoi bon. ll y a tant de question, de voies/x d'accès lorsque l'on est « invités aux rondes répétitives du bal des ardents. »

... Il faudrait juste qu'on parte avant que les orages explosent et qu'on prenne tous feu. »


« Il nous faudra surtout tenir et tenir aussi un certain cap : publier une littérature populaire et exigeante » (Rencontre de L'Ogre, Diacritik, Janvier 2016).

Se laisser porter, se faire sa propre idée. Saisir le boomerang, passer le relais. Donner la parole et demander à Fabien ce qu'il en est. Ce vendredi 23, Lou et moi avons eu le plaisir d'animer une rencontre à La Cour des Miracles de Rennes avec Fabien Clouette à l'occasion de la sortie de son nouveau roman. Le 29 septembre, vous pourrez le retrouver à la très belle librairie Petite Egypte de Paris qui en plus d'être sympathique et de qualité, possède la particularité d'interclasser genre et format. Enfin, le 24 novembre à 19 h 30, Marie Cosnay, Fabien Clouette, Quentin Leclerc seront à la librairie Charybde pour une rencontre exceptionnelle sur le thème Ecrire la guerre.

En attendant, prenez et perdez connaissance de et avec L'Ogre, découvrez l'ampleur du Saccage, suivez Cordelia la guerre et entrez dans Le Bal, sans aucun doute LE livre de la rentrée avant Cendres des hommes et des bulletins de Pierre Senges et Sergio Aquindo au Tripode, et Sombres aux abords de Julien d'Abrigeon chez Quidam. Et retrouver ici et les contributions de la librairie Charybde et du Matricule des Anges, d'Alain Nicolas, de Jean-Philippe Cazier, de Thomas Giraud et de Lou et les feuilles volantes.


Révolution.
Neuf fois, si j'ai bien compté.
Neuf fois en titre de chapitre, comme harangue une.
Révolution. Retour de boomerang, de bâton.
Révolution. Les grues comme des griffes, qui se fichent d'être vues, vendues, volées.
Révolution. Poing fermé, tendu, levé. Révolution. Echo de Safe, retour.
Révolution. Drapé de jaune. Révolution. De velours.
Révolution. Coup de théâtre, trois petits tours.
Nous revenons.
Rideau.
Révolution.

Texte et photos © Eric Darsan. Vidéo officielle et extraits issus du Bal des ardents © Fabien Clouette, les Editions de l'Ogre 2016.Le livre, lui, est, comme tous les ouvrages de L'Ogre, publié sous la licence Creative Commons. Bonus track Revolution nine © Goldmine 1969

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