vendredi 25 août 2017

Farigoule Bastard, Benoît Vincent

Marcher à son rythme. Rouler comme une pierre. Aux sources, s'abreuver, se rafraîchir. Récupérer, prendre son temps. De la hauteur, du recul et creuser. Sans cesse, sans plus. Tarder ni ajourner. Ni le voyage, passager, ni le séjour. Prolonger, allonger. Les jours qui raccourcissent, le pas. Qui se fait, se font. Lourds, le ciel, le soleil, les pieds. De plomb, la lame, les ombres et les nuits. Qui s'allongent, s'étendent. Sur la voie, l'été. Les [deux] pieds sur [la] terre [ferme], bien plantés. En station debout, couché, explorer. En étoile, les paysages, leur géométrie plus variable que ce temps. Qui s'en fout, s'enf(o)uit décidément. Sous la terre puis les feuilles.

Reliqu-at/-aire des lectures de l'été au seuil d'une rentrée littéraire belle et chargée comme une Winchester sur la jugulaire d'un fermier, Farigoule Bastard, premier roman et premier livre papier de Benoît Vincent, sorti le 16 avril 2015 chez Le Nouvel Attila, invite dans une langue et un/e geste délié/e/s à renouer avec les paysages émouvants, vivants et contrastés, d'un réel crépitant sous la réalité. Comme un feu de camp, ardent, sous un buisson de genévrier.  


« Le voyage, un bon voyage ce serait, quoique certainement un peu long. »

D'abord, il y a la langue. Aux contours arides, qu'il faut suivre pour entendre, goûter pour sentir, la source souterraine, généreuse, quand elle sourd seulement. « Puis la meule essouffle : les lames sont aiguisées ça veut dire. On y va ça veut dire. » Le voyage annoncé a déjà commencé. Avec ses préparatifs et l'épopée teasée et le papet taiseux. Auxquels il faut rendre et visite et hommage et honneur (« Il enculait la pitié. Le fils, gêné en retour, souriait raide et se tenait droit ; l'endimanché de l'un répondait à l'ampoulé de l'autre »). & la poésie qui, forte, émane comme une odeur. & la liberté qui se dégage de ses contours si souvent contrits, arcboutés, mesurés au fil de l'époque : ne pas s'écarter surtout — ça va tomber, dit-on. On recule pour se faire une idée et tout tient. & la cabane et la langue (« Déshabiter, c'est ainsi qu'on occupe. ») que l'on déshabi-lle/-tue des apparats anciens pour faire renaître à des jours et cieux neufs.

« Il aime comme ça s'effondrer. Tout compte fait, ce n'est pas un voyage plus pénible que la tâche du jour. C'est comme le bras d'une rivière qui se perdrait dans les cailloux, une pause dans une chasse, un rêve. »

Ici les paysages, réels plus que réalistes, saisissent les sens. Tout est immensément vivant, l'humain en lien avec les éléments. Ceux du langage en corps, qui s'empreinte à la typographie. Il trace la route, Farigoule, s'écarte des sentiers rabattus, se fraie un passage à claire-voix dans l'écrit, les pages et l'épigé, se livre à la police, se délate au Courrier, en un élan, le souffle au cœur, envahit l'italique. Il y aurait tant à dire. Des lettres qui circulent, romaines comme des voi-es/-x (Climax viendra), arabes comme des chiffres, téléphonées. Des noms dits des lieux dits. Des plats et banalités qui tournent. De l'oral et de l'arable, du fécond et de la faconde qui façonnent l'argile récit. Le silence qui est respect. L'altermonde qui est l'autre face du cycle, pile sur la tranche, comme la terre plate fait sa révolution, en équilibre sur les marnes déversées en bataille. 


 « Farigoule se rameute, après cet éparpillement. Les questions pressent autour de lui comme des bougies. Il s'en passerait. »

Et puis, il y a l'histoire et ses personnages. Il y a Farigoule Bastard, héros et artiste malgré lui, qui doit gagner Paris qui lui consacre une rétrospective. Farigoule Bastard qui ignore pour quelle œuvre on prétend l'honorer. Farigoule Bastard qui ne l'entend pas de cette oreille. Farigoule Bastard qui, bon pied bon œil, marche sur la capitale. Dit son nom. Se l'épelle sans avoir froid aux yeux. Tel un Jean de Florette qui ne se la laisserait pas conter, mène le récit en bonne compagnie – la sienne – dans un roman oral qui devient c(h)oral avec le témoignage de Picris, l'intercession malvenue d'Excofier. Il y a la mule. Il y a la Vieille et il y a Celle, pour ce qu'on en sait. La vie que l'on se fait, se tait se dit. La dure, belle et vraie vie que celle-ci, intense, contenue et fleurie, fragile et suspendue, chant dans le chant, qui se déclare, amour ou maladie. Tout se pêle-mêle, mais se comprend. 

« On a traqué l'eau, et d'une pente et d'un sol, je te fais une mare,

Sans repos ni répit, Benoît Vincent ellipse, instine, instille, intime, ellipse et slam et numère et panache, se manifeste, s'ituationniste et s'incarne dans un Farigoule Bastard qui se transhume, se déclame, instruit pour la prise d'âme. Avec lui, partage le contenu de sa biasse (« Je prends un abricot.  — Va. »), en compagnon rompt le pain quotidien, lui offre un peu de speck (« comme une tranche de jambon fumé comme Je t'aime ») ouvre pour l'occasion et l'amitié sincère une bouteille de vin nu, far-fouille encore le fin fond de ses poches en quête d'un tire-bouchon, ex-hibe et -stirpe un bris de roche, une branche de thym en même temps qu'un couteau (« Qui a parlé d'un couteau ? »), dévoile un corps-mort dont on présume qu'ils sont autant d'authentiques reliques.  


« Farigoule Bastard est le premier récit (…) régionaliste mais dans le bon sens du terme (…) antichar (…) antigiono (…) découper selon les pointillés (…) de Farigoule Bastard. »

Farigoule Bastard est surtout le premier roman de Benoît Vincent, qui s'inscrit par son style puissant et exigeant, dans la lignée intime mais multiple des écrivains et écrivaines à la ve-ine/-rve elliptique et poétique, mythologique et expérimentale. Farigoule Bastard est aussi le premier ouvrage de Benoît Vincent, officier d'élite des troupes du Général Instin, à rejoindre le catalogue et donc la horde du Nouvel Attila. Farigoule Bastard est enfin le premier récit de Benoît Vincent, « botaniste des affects imperceptibles » (pour citer la très belle recension de Claro) et co-responsable de la revue Hors-Sol, publié, après l'avoir été partiellement en numérique (dans Le convoi des glossolales créé par Anthony Poiraudeau, repris dans BoxoN via Julien d'Abrigeon, Le Plexu-S de Mathieu Brosseau et sur le site de l'auteur, Ambo[i]Lati, qui relate tout ceci et bien d'autres croisées et chemins) ainsi que deux autres ouvrages (chez publie.net) – sur papier, comme le sera GEnove.

Une manière de figer le devenir – d'en-/d'in-finir ce qui a commencé – d'immortaliser l'éphémère, de transformer le geste en geste, l'histoire en épopée, pour mieux s'affranchir de leurs conventions, libérer la forme avec le fond, et les poursuivre dans toutes les directions...   

« on ne fait que se rendre, plus ou moins vite, plus ou moins bêtement, plus ou moins courageusement à ce qui ne fait pas sens, ne fait pas œuvre, à ce qui n'a pas bouche, ce qui [n'a pas voix], ce qui n'a pas timbre, et qui pourtant résonne, et qui pourtant répond, répond de moi, répond de toi, et mettra un point final...»


« L'été, tout à présent, ce n'est plus un sujet de faceface.
A peine un pincement sur un écrin. »